Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

09/09/2013

Le contenu de notre assiette donne le tournis

Par Catherine Morand, journaliste

Faire un petit tour au marché ou au supermarché pour y acheter de quoi préparer ses repas conduit souvent à faire, en même temps, un petit tour du monde, tant les produits consommés en Côte d’Ivoire, comme partout ailleurs dans le monde, proviennent de toute la planète : brisures de riz thaïlandais, lait en poudre ou en boîte importé de France ou de Hollande, boîtes de tomates fabriquées en Italie, baguettes de pain confectionnées à partir de blé américain ou européen, viande ou poulets congelés européens, pommes françaises, raisin sud-africain. Heureusement, le garba attiéké-poisson demeure pour l’instant 100% fabriqué en Côte d’Ivoire, même si les importations de poissons sont en augmentation.

Au moment de passer à table, nous pouvons apprécier la chance que nous avons de réunir le monde entier dans nos assiettes. Mais nous serons peut-être aussi saisis par un léger tournis, en pensant au nombre de kilomètres effectués par les aliments qui composent notre menu.

Ce ballet incessant d’avions, de bateaux, de trains, de camions qui nous livrent notre pitance quotidienne est une constante qu’on retrouve dans tous les pays, sous toutes les latitudes.

Les supermarchés européens offrent ainsi tout au long de l’année à leurs clients le choix entre des brochettes de crevettes élevées au Vietnam, en Equateur ou au Bangladesh. On peut aussi opter pour des écrevisses de Chine, des steaks de cheval canadiens, accompagnés de petites pommes de terre israéliennes et de haricots égyptiens, avec, en entrée, des asperges du Mexique ou du Pérou. Pour le dessert, du raisin indien, chilien ou sud-africain.

Situation paradoxale : des produits alimentaires importés sont parfois cultivés ou élevés dans le pays, mais les importations sont souvent moins chères que ce qui est produit localement. Pour le plus grand malheur des paysans et des éleveurs, qui, sur leur propre marché national, n’arrivent parfois plus à écouler leur production. Et des situations de concurrence déloyale pour les paysans et les éleveurs locaux se multiplient, certaines cultures ou filières d’élevage étant largement subventionnées, d’autre non, sans compter les règles d’un commerce international qui favorisent les circuits hallucinants effectués par la plupart des mets que nous consommons.

Mais est-ce bien raisonnable que ce que nous mangions parcourt des distances aussi incroyables ? Selon le Worldwatch Institute qui scrute l’état de la planète, le trajet moyen parcouru par un aliment avant d’atterrir dans notre assiette est d’environ 2’500 kilomètres.

A tel point que certains, en Europe, ont désormais lancé un petit jeu à l’heure des repas : calculer les distances parcourues par ce qui se trouve dans leurs assiettes et évaluer le volume de CO2 que cela a généré. Les asperges arrivées par avion du Pérou ? 10’000 km et 12,5 kg de CO2. Un steak de bœuf argentin ? 11'300 km et 14,5 kg de CO2. Un repas de Noël a ainsi remporté la palme en totalisant 209 000 km parcourus par les mets composant le menu de fête, soit plus de cinq fois le tour du monde, avec en prime des émissions de 41,3 kg de CO2.

La flambée des cours du pétrole pourrait peut-être à terme tempérer cette frénésie kilométrique qui plombe le climat, accélère les changements climatiques, et donne à nos assiettes un fort parfum de kérosène.

Du coup, soyons fous, rêvons : ne serait-il pas temps de revenir à une agriculture de proximité, où les gens consomment tout simplement ce qu’ils produisent, et produisent ce qu’ils consomment, ce qui n’est pratiquement plus le cas nulle part dans le monde ? Face à un commerce international devenu fou, à des scandales alimentaires qui se multiplient, les initiatives allant dans ce sens se multiplient. Elles émanent d’associations de consommateurs ou de paysans, qui en appellent au simple bon sens pour sauver la planète, pour que les petits producteurs ne soient pas rayés de la carte, au profit de grands groupes internationaux, qui font désormais main basse sur l’alimentation du monde. (publié dans le quotidien Fraternité Matin, Abidjan, Côte d'Ivoire, le 7.9.2013)

 

12/07/2013

Que serait le commerce mondial sans les containers ?

Par Catherine Morand, journaliste

Quelle est la différence entre les ports africains, européens ou américains ? Aucune, car  ils se ressemblent tous : des containers (« conteneurs » en français) empilés les uns sur les autres, à perte de vue, véritables symboles d’une économie mondialiséequi fait faire à chacun de ses produits des milliers de kilomètres sur les mers.

 

Si les conteneurs en provenance d’Afrique transportent le plus souvent des matières premières brutes, ceux en provenance des plus grands ports du monde en Chine,  à Singapour ou en Corée du Sud, regorgent des produits manufacturés qui inondent le monde entier. Mais repartent le plus souvent à vide d’Europe ou d’Amérique, ou alors avec du papier usagé ou du matériel électronique à recycler, puisque les Etats-Unis et la plupart des pays européens ne produisent bientôt plus rien.

Dès lors se pose un petit problème d’ordre sémantique : peut-on encore parler de « pays industrialisés », alors que ceux-ci sont en voie de désindustrialisation avancée ; et de « pays en développement » ou « en voie d’industrialisation », puisqu’eux aussi vont faire leur marché dans les « zones économiques spéciales »  de Shanghaï, Shenzhen ou Canton. Et ne produisent toujours pas ce qu’ils consomment.

Pour ravitailler quelque 300 millions de consommateurs américains en vêtements, chaussures, jouets, meubles, appareils électroniques, denrées alimentaires – la liste est sans fin -  ce sont désormais plus de 30 millions de containers qui traversent chaque année l’océan Pacifique. Pendant les périodes de pointe, avant Noël par exemple, les embouteillages de cargos en provenance de Chine, au large des ports de Los Angeles et de Long Beach, ont un petit air de débarquement en Normandie.

Les porte-conteneurs immenses qui sillonnent les océans consomment entre 150 et 300 tonnes de fuel hautement polluant par jour. Et portent leur part de responsabilité dans le réchauffement climatique. L’aberration qui consiste à faire fabriquer les produits de consommation les plus basiques à des milliers de kilomètres se paie cash : à l’image des grands ports du monde, la planète est au bord de l’asphyxie. Tandis que les pays dits industrialisés ont bradé à tout jamais (?) leurs industries et leur savoir-faire.

Le développement spectaculaire du transport maritime par porte-conteneurs est relativement récent. Exit les cargos de jadis. Aujourd’hui, c’est la course au gigantisme. Le mois dernier, le président français François Hollande baptisait dans le port de Marseille le Jules Verne, l’un des plus grand porte-conteneurs au monde, fabriqué en Corée du Sud mais battant pavillon français. Curieuse image que celle de ce responsable politique, impuissant à juguler la perte d’emplois dans son pays, qui inaugure un géant des mers chargé de transporter jusqu’en France des millions d’objets de consommation courante fabriqués par d’autres sous d’autres cieux. Et qui ne seront plus jamais produits en France, pour cause d’entreprises délocalisées.

Ce type de commerce international modifie jusqu’à la topographie de la planète. Actuellement, des travaux pharaoniques sont entrepris pour permettre le passage du canal de Panama, jusqu’alors impossible, à des Post-Panamax, ces tankers et porte-conteneurs de nouvelle génération, longs de 366 mètres, larges de 49 mètres, transportant jusqu’à 18'000 containers. Dans le même temps, une polémique se développe après l’annonce de l’octroi par le gouvernement du Nicaragua d’une concession à une entreprise chinoise de Hong Kong pour la construction d’un autre canal dans ce pays d’Amérique centrale, qui concurrencerait celui, pas très éloigné, du canal de Panama. Et permettra à son tour aux millions de containers en provenance d’Asie de se frayer un passage entre les océans Atlantique et Pacifique. (publié dans le quotidien Fraternité Matin du 12 juillet 2013)

 

 

15/06/2013

Chine Afrique : je t'aime moi non plus

Par Catherine Morand, journaliste

En un peu plus d’une décennie, la Chine a fait une percée spectaculaire sur le continent africain. Pour faire tourner « l’usine du monde », la Chine a en effet besoin de pétrole, de fer, de cuivre, de nickel, de cobalt, de bauxite, d’uranium, sans oublier le coton et le bois, et fait son marché en Afrique, qui en regorge.

Les consommateurs africains se ruent par ailleurs – comme le reste du monde – sur l’électroménager, les chaussures, les tissus, les jouets, et tous les produits de consommation « made in China », moins chers.

Et ce sont également les sociétés chinoises qui se voient confier la construction de routes, de ponts et d’autres grands chantiers, au nez et à la barbe d’entreprises de bâtiments et travaux publics occidentales, qui se font damer le pion sur des marchés qui furent longtemps considérés comme captifs.

Dans un premier temps, les pays occidentaux, mauvais perdants, n’ont eu de cesse de critiquer la Chine, l’accusant pêle-mêle de piller les richesses de l’Afrique ou encore d’octroyer des prêts sans les « conditionner » à une bonne gouvernance ou au respect des droits de l’homme. Tant que les critiques n’émanaient que des ex-colonisateurs, les Chinois laissaient dire et se contentaient de rappeler « le passé colonial de l’Europe, fait d’esclavagisme et d’exploitation des ressources naturelles », selon les termes de l’ex-ambassadeur chinois auprès de l’Union européenne Chan Chengyuan.

Mais lorsqu’au mois de mars dernier,  l’éminent gouverneur de la Banque centrale du Nigeria Lamido Sanusi a déclaré au Financial Times que « l'Afrique doit se débarrasser de sa vision romantique de la Chine et accepter le fait que Beijing est capable de mener les mêmes pratiques d'exploitation que les anciennes puissances coloniales», ses déclarations ont fait l’effet d’un coup de tonnerre dans le ciel de l’amitié sino-africaine. En juillet 2012 à Pékin, le président sud-africain Jacob Zuma avait déjà mis en garde contre les risques d’une relation commerciale déséquilibrée, pas viable sur le long terme, dans laquelle l’Afrique fournit avant tout des matières premières : «L’expérience économique de l’Afrique avec l’Europe par le passé appelle à la prudence», avait-il insisté.

Que des voix aussi autorisées expriment de telles réserves à l’égard de ce qu’il est convenu d’appeler la « Chinafrique » est un signal fort, que les autorités chinoises, au plus haut niveau, semblent vouloir prendre au sérieux. C’est ainsi que lors de son premier voyage officiel en Afrique, dix jours seulement après sa nomination, le président Xi Jiping a recommandé aux entreprises chinoises d’être plus soucieuses du tissu social, en engageant par exemple davantage de personnel local. Il faut dire que les flots incessants de travailleurs chinois qui débarquent jusqu’au fin fond de la brousse représentent une source de tension avec la population.

On reproche également aux Chinois d’avoir porté un coup fatal à de petites et moyennes industries, dans le secteur du meuble ou du textile par exemple, en inondant le continent de produits à prix cassés, pas toujours de bonne qualité. Ainsi que de se positionner y compris au cœur du petit commerce et du secteur informel.  « Les Chinois sont les bienvenus comme investisseurs, mais pas comme commerçants ambulants ou vendeurs de beignets », a récemment déclaré un acteur économique sénégalais. Ni comme mineurs clandestins dans des mines d’or illégales, serait-on tenté d’ajouter, en référence aux récents événements survenus au Ghana, qui ont conduit à l’arrestation de 124 mineurs chinois, qui risquent d’être expulsés.

D’autres pays ont également été le théâtre d’incidents. Le plus grave est survenu au août 2012 en Zambie, où des ouvriers en grève avaient tué le gérant chinois d’une mine. Peut-on parler pour autant de l’émergence d’un sentiment anti-chinois en Afrique ? Cela semble pour l’heure exagéré, même si après dix ans de lune de miel, un nombre croissant de voix africaines se font entendre pour mettre en garde contre les risques d’une néo-colonisation de leur continent par l’Empire du Milieu.  (Publié dans le quotidien Fraternité Matin, Abidjan, Côte d'Ivoire), le 14 juin 2013).